La résistance dans la
Mitidja peut être résumée en trois
étapes :
La résistance des
habitants de la plaine de la Mitidja est considérée comme une
réaction rapide au danger qui les menaçait. Après la chute de
la capitale entre les mains de l’occupation française et la
défaite du pouvoir central, le peuple algérien s’est retrouvé
isolé face aux forces d’occupation et dans de telles
conditions, les cheikhs des territoires de la Mitidja, bordés
par Hadjout à l’Ouest, Boudouaou à l’Est, le littoral au Nord
et l’Atlas blidéen au sud, n’ont pas eu d'autre choix que
d'affronter les Français et de leur résister notamment lorsque
le commandant de l’armée française De Bourmont lança, le 23
juillet 1830, une offensive militaire sur la ville de
Blida pour éprouver les habitants et les chefs de tribus de la
Mitidja.
Cette offensive a
coïncidé avec la tenue de la réunion des chefs de tribus de la
Mitidja avec ceux des tribus limitrophes, sous la direction du
cheikh Mohamed Ben Zaamoum, El Hadj Sidi Saadi ainsi que des
notables de la ville d’Alger, à l’issue de laquelle il fut
décidé de déclarer la guerre sainte contre les occupants tout
en poursuivant le siège et le boycott commercial afin
d’empêcher les Français de s’approvisionner aux marchés de
Souk Ali et de Blida.
Malgré la mise en garde
adressée par le Cheikh Mohamed ben Zaamoum au général De
Bourmont lui rappelant les conséquences d’une expédition
contre les territoires de la Mitidja, ce dernier passa outre
dans la mesure où il a dirigé une campagne composée de 1200
soldats. Même s’il est parvenu jusqu’à la ville de Blida sans
aucun incident particulier, il n’en fut pas de même lors de
son retour puisqu’il a rencontré sur son chemin les troupes
constituées des habitants de la Mitidja sous le commandement
de Mohamed Ben Zaamoum.
C’est ainsi qu’a eu
lieu la première bataille entre l’armée française et les
habitants de la Mitidja au cours de laquelle certains
officiers et soldats français ont trouvé la mort. Pour l’armée
française, elle représente la première bataille après la prise
d’Alger. Ce fut ainsi la première victoire remportée par
la résistance populaire contre l’occupation française et Robin
cite : « Pour la première fois, il a été observé une
forme d’organisation dans les rangs de ces sauvages ;
l’armée de Ben Zaamoum nous a affronté sous une forme presque
organisée : les fantassins étaient concentrés sur le
flanc gauche de la montagne et les cavaliers sur le
flanc droit ». Cette victoire a eu un impact positif non
seulement sur le moral des habitants de la Mitidja mais
également sur les milieux citadins de la
Capitale.
Depuis leur première
défaite, les Français ont renoncé à l’idée de conquérir Blida
et jusqu’à ce que le Général Clauzel succède au
commandant général De Bourmont à Alger. Celui-ci
conduisit une deuxième expédition contre la ville de
Blida et une autre sur Médéa, afin de briser le siège d’une
part et d’autre part, réhabiliter les troupes françaises après
leur première défaite et donner une leçon au Bey Mustapha
Boumezrag.
Le Commandant général
Clauzel participa
personnellement à cette expédition dont il avait confié le
commandement à l’officier Boyer. Partie le 17 novembre 1830,
l'expédition parvint à Blida le jour suivant.
Réalisant l'importance du
rôle joué par la mosquée dans la mobilisation des musulmans,
Clauzel lança un assaut contre ce lieu saint qu'il
transforma en hôpital militaire et ordonna à ses soldats de
pourchasser les populations désarmées de Blida et d'incendier
leurs demeures après avoir pillé les denrées
alimentaires.
Lorsque Clauzel eut
consolidé son emprise sur la ville, il y installa une garnison
militaire puis se dirigea le 21 du même mois vers la ville de
Médéa. Parvenu aux gorges de la Chiffa, il fut pris dans une
embuscade tendue par les troupes du bey Boumezrag. Il y
eut un accrochage qui s'est soldé par la mort de 3 officiers
français, de 24 soldats et 80 blessés.
En dépit de cela, Clauzel
a pu arriver jusqu’à la ville de Médéa. Il désigna Mustapha,
fils d’El Hadj Omar, pour succéder au bey Mustapha et plaça
sous ses ordres une garnison de 1200
soldats.
Alors que Clauzel se
trouvait à Médéa, El Hocine, fils de Mohamed ben Zaamoum,
lança une attaque contre la garnison française basée à Blida
après avoir rassemblé des cavaliers et fantassins des tribus
d’el Khechna, béni Mesra, beni Moussa et béni Khelil . Il
répartit ses hommes en deux groupes : le premier se dirigea
vers Blida en passant par le flanc de la montagne et le
second emprunta une route au milieu de la plaine pour empêcher
les renforts d’arriver de Boufarik. Ce deuxième groupe a
réussi à liquider bon nombre de Français qui arrivaient
en renfort avec des munitions pour la garnison basée à
Blida et à s’emparer de leurs armes.
Les troupes d’El Hocine
ben Zaâmoum poursuivirent leur route jusqu’à Blida où elles
arrivèrent le 22 novembre et entreprirent d’assiéger la ville
tout en provoquant des escarmouches.
Le 26 novembre, elles
pénétrèrent dans la ville avec environ 6 à 7 mille résistants,
selon les sources françaises. Cependant, la ruse à laquelle
recourut le commandant de la garnison (Roller) consistait à
créer une percée à travers laquelle il a pu rassembler
un groupe de ses soldats derrière les murs de la ville
d’où il surprit, par derrière, les troupes d’el Hocine Ben
Zaamoum.
Ceci eut pour effet de
jeter le trouble parmi les résistants lesquels pensant avoir
été pris d'assaut par les troupes de Clauzel, se
retirèrent après des combats qui avaient duré cinq heures, au
cours desquels 19 français furent tués et 55 autres blessés.
Toutefois, les sources
françaises évoquent 400 morts parmi les moudjahidine ; ce
qui indique que la majorité d’entre eux étaient des habitants
désarmés contre lesquels la France avait commis un massacre
collectif.
Il apparaît évident que
le type d’armement détenu par les Français a eu un effet
négatif sur les résistants qui ne disposaient, pour leur part,
que de sabres, de lances et de quelques fusils traditionnels
de type ottoman ou de celui que les tribus de Fellissa étaient
réputés fabriquer, ou bien encore ceux qu’ils avaient pu
récupérer sur l’ennemi et enfin les armes qui avaient été
sorties en cachette d'Alger grâce aux notables citadins. Mais
en dépit de la supériorité numérique de l'ennemi, la volonté,
la foi en Dieu, la défense de leur honneur et la
lutte contre l’injustice furent plus forts que les armes
pour exprimer le refus du colonialisme.
Après son retour de
Médéa et devant les coups portés à son armée par les
résistants notamment le 27 novembre 1830, Clauzel décida de
retirer ses soldats vers Alger après s’être vengé, une
fois de plus, des habitants isolés à travers des massacres
terribles.
C’est ainsi qu’avait
échoué la deuxième tentative faite par la France pour étendre
sa zone d’influence en dehors de la ville d’Alger, tandis que
les résistants de la Mitidja passaient de la phase de
défense à celle de l’offensive.
Par petits groupes, ils
lançaient des attaques rapides et se repliaient rapidement ou
bien lançaient des incursions sur certaines fermes que les
colons avaient commencé à implanter aux environs de la
Capitale.
C'est ainsi que les
Français furent amenés, à l’époque du général Berthezène
(nommé gouverneur le 20/07/1831) à adopter la politique de
l’apaisement. Il désigna el Hadj Mohieddine ben Séghir, fils
de Sidi Lembarek, cheikh de la zaouia de Koléa à la fonction
d’agha des Arabes compte tenu de l’autorité et de
l'influence dont celui-ci jouissait auprès des habitants de la
Mitidja et afin qu’il soit l’intermédiaire entre ceux-ci et le
gouverneur français.
Cependant, cette
politique ne fit pas long feu. Avec l’arrivée du Duc de Rovigo
au mois de décembre 1831, l’usage de la force reprit dans
l’intention d’écraser la résistance par tous les moyens, y
compris le génocide et l’assassinat des chefs de tribus comme
ce fut le cas pour le chef des béni Khalil, Cheikh Larbi
Benmoussa ainsi que celui du territoire du Sebt, Cheikh
Abdelwadi. Ceux-ci furent attirés, avec une délégation des
habitants de la Mitidja dirigée par Cheikh Mohieddine, agha
des arabes, sous prétexte de négociations mais en fait, il fut
ordonné de les décapiter, sans oublier le massacre perpétré
contre la tribu al aoufia contre laquelle une
incursion fut lancée de nuit sous prétexte qu’elle aurait
agressé la délégation de Ferhat Bensaïd au cours de la nuit du
07 avril 1832. Même si par la suite les français ont reconnu
que cette tribu était innocente de l’accusation lancée contre
elle, la barbarie de tels actes laissera son empreinte dans
l’histoire du colonialisme français et constituera l’un des
crimes de la France coloniale.
La détermination des
résistants ne fut pas entamée pour autant. Bien au contraire,
leur foi en la victoire ou le martyre en fut renforcée,
notamment après que Cheikh el Hadj Mohieddine, agha des
Arabes, se soit joint aux chefs de la
résistance.
Sous la direction d’El
Hocine Ben Zaamoum, les résistants exploitèrent une sortie
effectuée par une unité de l’armée française vers le côté Est
de la Mitidja pour la prendre d'assaut après lui avoir tendu
une embuscade, au cours de laquelle 37 soldats de la légion
étrangère ont été tués. Les Français tentèrent de cerner les
résistants par terre et par mer. Et des troupes furent
débarquées du côté des Issers mais les résistants firent
échouer le débarquement et le général Bouchez(?) s’en retourna
défait.
La résistance se
poursuivit, dirigée par el Hadj Sidi Saâdi et Mohammed
Benzaâmoum qui incitaient au combat. A la fin du mois de
septembre 1832, un rassemblement populaire fut organisé
près de Boufarik au lieudit Souk Ali afin de mobiliser les
populations et les inciter au combat.
Informé de ce
rassemblement, le Duc de Rovigo envoya une expédition
militaire sur les lieux sous les ordres du général Vedweiss,
(?)le 02 octobre 1832 ainsi qu'une autre vers Koléa sous les
ordres du général Brossard.
Afin d’éviter
l’affrontement direct avec l’ennemi, les résistants adoptèrent
la tactique des embuscades en essayant d'entraîner l’ennemi
vers les plaines et les marécages. Ils surprirent les troupes
d’occupation près du mausolée de Sidi Ayed aux environs de
Boufarik, semant la terreur dans leurs rangs. Cent soldats
français furent tués selon des sources
françaises.
Les accrochages se
renouvelèrent le jour suivant et les Français furent
contraints de se replier sur Birkhadem. Au même moment,
l'expédition de Koléa s’attaquait aux populations
isolées, leur imposait une amende et prenait en otage des
membres de la famille de Cheikh Mohieddine Ben
Mebarek.
La situation demeura
ainsi jusqu’à ce que l’administration française parvienne à
briser les rangs au sein des tribus et des territoires, en
désignant des caïds qui lui étaient inféodés et semant
la haine entre certains chefs au caractère faible. Dans le
même temps, elle réussit à implanter de nouveaux
avant-postes militaires.
L'ensemble de ces
facteurs réunis ajouté à d’autres fit que la résistance se
concentra sur le côté oriental de la Mitidja, dans la zone
montagneuse.
Cependant, les succès
remportés par l’Emir Abdelkader, la signature du traité
Desmichels et la prise de la ville de Médéa ont de nouveau
redonné de l’espoir aux populations de la Mitidja. Cheikh
Saâdi s’empressa de rencontrer l’Emir Abdelkader à Médéa et
celui-ci le désigna comme khalifa pour la région
de la Mitidja et le côté orientale.
El Hadj Saâdi continua à
entretenir la flamme de la résistance malgré le peu
d'enthousiasme qui régnait à l’époque du Général Le
Comte d’Orléans lequel n’ayant pas réussi à prendre la ville
de Blida , s’était contenté d’établir des postes avancés à
Douéra et Boufarik.
Suite au durcissement de
la résistance à l’ouest sous la direction de l’Emir
Abdelkader, des expéditions furent de nouveau lancées par les
Français sur Blida.
En effet, début octobre
1835, les tribus de Béni Salah et Hadjout ont attaqué le
poste militaire de Boufarik. Mais le général Clauzel a
réagi en exerçant des représailles contre la population de
Blida le 21 octobre, et retourna à Alger après avoir incendié
leurs maisons et pillé leurs biens.
Le 30 mars 1836,
Clauzel tenta de lancer une expédition sur Médéa
mais, une fois de plus, une farouche résistance lui fut
opposée par les tribus de la Mitidja à Thénia Mouzaïa et Oued
Chiffa, dans les zones montagneuses escarpées.
C'est ainsi que jusqu’en
1836, la France n’a pu réussi à imposer son autorité
qu’en certains points comme Boufarik, Douéra et le poste
d’Ouled Yaïch.
Le Général Damrémont qui
succéda à Clauzel, a tenté d’occuper définitivement Blida. Il
rassembla ses troupes à Boufarik et marcha sur Blida le
29.04.1837 qu’il assiégea après avoir scindé son armée en
trois groupes : le premier a encerclé la ville sur le
côté droit, le deuxième sur le côté gauche et le troisième
groupe a pénétré à l’intérieur de la ville. Malgré la
résistance qui lui fut opposée, le général Damrémont réussit à
pénétrer dans la ville et ordonna à son armée de couper tous
les arbres et les vergers. Cependant, l’opération avait
entraîné pour lui de lourdes pertes humaines et il fut
contraint de se retirer vers la ville de Boufarik.
Après que l'occupation de
la ville de Constantine soit achevée en octobre 1837, les
troupes françaises ont pu se consacrer à la région de la
Mitidja. Le maréchal Valée a conduit en personne une
expédition contre les tribus de Béni Salah, Béni Masra et
Hadjout qui campaient autour de la ville de Blida.
Le 3 mai 1838, ses
troupes atteignirent l’entrée de Blida et malgré la tentative
des chouyoukhs de la ville tels que Mohamed Ben Amrouche et
certains ulémas tels que Sidi Mohamed ben Brahim de convaincre
le Maréchal de ne pas y pénétrer, celui-ci passa outre
et donna l’ordre d'y implanter deux postes militaires,
le premier à Joinville qui fut transformé après 1843 en
village de colonisation sous le nom de Joinville (Zabana
actuellement) et un autre poste transformé en quartier de
colonisation sous le nom de Montpensier en 1843 (Benboulaïd
actuellement).
Placés sous le
commandement du Général Galbois, les deux postes furent
renforcés par d’autres positions militaires à l’entrée de
bab errahba et koudiat mimeche afin de permettre
aux français de maîtriser les cours d’eau de Sidi el Kébir.
Lorsque le traité de la
Tafna fut dénoncé, la résistance dans la Mitidja a été
renforcée avec le ralliement des deux khalifas de
l’Emir à Médéa et Miliana.
Sur ces entrefaites, les
villages de colonisation de béni Moussa, Khemis el Khechna et
Béni Khélil furent l’objet d’attaques, contraignant les colons
à les abandonner. Certains parmi eux furent même liquidés à
Haouch Khider, Haouch al khaznadji, Haouch Khadra , Baba Ali
et Chebli.
Selon des témoignages
français, suite à ces opérations, il ne resta plus aucun
village de colonisation sous l’autorité des Français hormis
les postes militaires précédemment cités.
Face à cette
recrudescence, les Français furent contraints d’abandonner le
poste de Mimèche le 25 novembre, celui de Sidi Khélifa le 28
novembre puis, Aïn al Hamra et Oued el Alleug le 4 décembre.
Par la suite, les troupes de l’ennemi furent regroupées à
Blida et Joinville sous le commandement du Général
Ginier( ?). Ils se retirèrent également du poste de
Ouled Yaïch – placé sous le commandement du Colonel
Changarnier - en direction de Boufarik.
Avec l’arrivée des
renforts à Blida sous le commandement du général Rullière le
14 décembre, les résistants ont tenté de leur barrer la route
entre Boufarik et Béni Mered et un accrochage a eu lieu au
cours duquel 5 français furent tués et 20 autres blessés,
tandis que des sources françaises avancent le chiffre de 40
tués parmi les résistants qui contrôlaient les cours d’eau.
C'est ainsi que le camp militaire de Joinville fut privé d’eau
pendant plus d’une semaine. Les troupes françaises durent
livrer des combats près de Oued Sidi el Kébir afin de
contrôler les sources d’eau.
Le 16 décembre, les
résistants furent renforcés par l’apport de deux canons de
Médéa ce qui les encouragea à attaquer les Français à
Blida dont 12 furent tués.
La semaine suivante, une
autre bataille eut lieu au cours de laquelle les Français
avaient perdu 8 hommes alors que 30 autres furent
blessés ; de même que les communications entre Blida et
le camp de Joinville furent coupées.
Toutefois, la bataille
décisive eut lieu à Oued el Alleug au cours de laquelle les
résistants de la Mitidja furent
vaincus.
Lorsque
les résistants se sont repliés, le Maréchal lança une
expédition sur le côté ouest de la Mitidja qui lui permit
d’occuper la ville de Cherchell le 15 mars 1840, tandis que
d’autres expéditions étaient menées à travers Mouzaïa, El
Affroun, Oued Djer et Boumad'fâa qui se terminèrent par la
prise de Miliana par les
Français. |